22 septembre 2014

Lettre à Hortense

        Depuis un moment, j'entretiens une conversation avec Hortense la colocataire de mon Loulou, celle qui loge dans sa  tête. Tout le monde aura reconnu sa démence mais moi j'ai préféré lui donner un nom, pour me la rendre plus familière.



                                           Chère Hortense ;



             Depuis que tu as  établi tes quartiers dans la tête de mon bonhomme, on peut dire que ma vie a singulièrement changée. Elle n’était pas si extraordinaire que ça ma vie d’avant  mais étrangement, c’est son apparente banalité qui en faisait tout le charme. Pourtant, on ne t’a pas vue arriver. Tu t’es faite discrète au début. Farceuse, tu lui volais son chemin pour qu’il se perde, puis tu cachais ses affaires pour qu’il les cherche sans les voir, puis petit à petit tu lui as volé ses mots, son rire. C’est là que je me suis rendu compte de ta présence. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’une IRM te débusque et que l’on se rende compte que tu t’étais déjà installée partout. Et puis rapidement tu as pris tes aises et tu as  montré ton vrai visage. Tu l’as privé de ses mains, de sa voix. Tu l’as fait marcher jour et nuit, se perdre aux quatre coins de l’appartement. Mais lui prendre tout ça ne t’a pas suffi, tu es une colocataire exigeante, Hortense.  Il te le faut tout entier, et pour toi seule.





               Bientôt 3 ans que tu le hantes, Hortense, 3 ans que l’on se dispute le même homme, 3 ans de  combat. Je sais que c’est toi qui gagnera en fin de compte, c’est toujours toi qui l’emportes à la fin, pas de happy end à envisager, mais je ne te faciliterai pas la tâche.  On a essayé les médicaments qui un temps t’ont muselée, mais c’était un leurre. J’ai cru qu’on avait gagné mais toi tu en profitais pour grossir en douce, te vautrer davantage, t’étendre et prendre possession des lieux pendant qu’on t’oubliait. Et puis un jour tu as appris à défaire ta muselière et les médicaments  n’ont plus suffit. Hortense est sortie du placard dont elle a fracassé la porte, plus belliqueuse que jamais. Tu es coriace, Hortense, tu es coriace et ces jours-ci tu t’exprimes beaucoup. Tu lui fais faire beaucoup de bêtises, à mon bonhomme et ça, j’aime pas. Que la vie est douce quand tu te fais discrète. Je sais quand même que tu es là, je ne t’oublie pas pour autant, mais sans parler d’harmonie, on arrive à cohabiter en paix. On sait bien que tu n’aimes pas les cris d’enfants, les sonneries intempestives, les klaxons insistants. On a compris Hortense que la patience n’est pas ta vertu principale, mais on s’adapte. Mais depuis quelques jours, je sens que tu te réveilles. Plus agité, plus perdu encore, plus plaintif aussi. A chacune de tes attaques, j’ai la parade. Je lui parle, inlassablement, je le rattache au réel, à moi, à nous. Je le rassure, je le calme, le réoriente, le guide.  Je ne fatigue pas, mais là je sens bien  que ça ne va pas suffire bien longtemps. 


                     Hortense, sache que je ne te supplierais pas de me le laisser encore un peu.  Tu me voles l’homme que j’aime, mais je vais continuer à me battre. Pour moi, pour lui. Pour l’entendre encore rire, pour voir encore une fois cette étincelle qu’il a au fond des yeux quand il se moque de moi. Hortense, une  dernière chose : tu as fait de sa tête ton antre, mais moi c’est dans son cœur que j’habite. Et de là tu ne me délogeras pas.     

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