9 février 2016

La déception


« Madame;

C'est avec beaucoup d'émotion que je vous fais part de ma décision de décliner l'invitation de Mme Rossignol à cette rencontre. En effet, malgré toutes mes recherches aucune solution de remplacement auprès de mon compagnon ne s'est avérée pérenne. J'ai fait beaucoup d'essais, avec beaucoup de personnes, il m'a été impossible de trouver quelqu'un de confiance acceptant son handicap et surtout ses troubles du comportement. On touche là d'ailleurs les limites de la prise en charge du grand handicap à domicile. Le SSIAD qui nous suit depuis trois ans avait accepté de passer le matin et le soir pour les soins, et je comptais sur deux personnes pour les repas et assurer une présence et/ou une surveillance. Malheureusement, ces personnes ce sont désistées progressivement devant la lourdeur de la mission (mission que j'assure seule sans faille depuis plus de 4 ans désormais...).
De plus, venant de loin, il m'aurait été impossible de rester au delà de 19h ce qui aurait été dommage, faire autant de kilomètres et mettre autant de ressources en place pour 2 heures d'entrevue, au delà du bilan carbone désastreux, aurait été déraisonnable.

Je vous remercie toutefois de votre attention à mon égard, je suis désolée de ma défection tardive, j'ai essayé jusqu'au dernier moment de trouver la perle rare de confiance, sans la trouver. »




     C’est par ce mail que je viens de mettre fin à un mois entier de recherches, d’organisation, de questionnements sans fin. Il y a un mois, j’avais été contactée avec d’autres blogueurs, par le service presse de Laurence Rossignol pour rencontrer la secrétaire d’état à propos de la Loi d’Adaptation de la Société au Vieillissement. (loi ASV). J’étais flattée d’y être invitée et heureuse de m’y rendre, heureuse de rencontrer enfin des personnes avec lesquelles je suis en contact tous les jours, de mettre un visage sur des noms ou des pseudos, heureuse d’échanger de visu sur des thématiques qui nous sont chères comme la prise en charge des personnes âgées à domicile, la défense de la cause des aidants, le répit , l’organisation des SPASAD etc..

     Seulement voilà… j’y suis invitée en tant qu’aidante, qui dit aidante dit proche en situation de dépendance, il faut donc trouver une solution pour me remplacer la journée. Et là commence le fameux parcours du combattant. Je vis loin de Paris, il me faut prendre l’avion. Les soins sont organisés, pas de problème, le SSIAD répond présent immédiatement pour faire un passage le matin et un le soir. Restent l’accompagnement le matin et l’après-midi les deux repas de midi et du soir et l’accompagnement le soir en m’attendant. J’organise au plus juste. Mon compagnon peut rester quelques heures seul. Puis progressivement, les deux personnes prévues se désistent. L’une restreint son intervention, et j’annule l’autre parce que je n’ai pas assez confiance en elle. Et là j’ai renoncé. J'ai Renoncé à me battre, renoncé à continuer à chercher quelqu’un de confiance pour prendre en charge un compagnon dépendant à la démence sévère et productive (plutôt sévèrement productive même…) parce qu’en ce moment il est rudement opposant. Il ne veut plus qu’on s’occupe de lui, il en a un peu marre de tous ces gens qui viennent pour s’occuper de lui alors qu’il n’a rien demandé. Qu’il n’a qu’une envie c’est qu’on lui foute la paix, qu’on le laisse tranquille, pépère, avec sa télé et son chat. C’est une phase, je le sais, il suffit d’être patient mais en ce moment il ne veut plus. Le SSIAD a l’habitude et gère comme il peut. Avec moi c’est plus simple, il suffit que j’attende qu’il soit dispo. Seulement, me demander de partir à Paris, toute la journée, ça c’était plus difficile. Pourtant, j’y ai cru jusqu’au bout. Jusqu’à la dernière minute. Jusqu’à ce matin. Mais il a bien fallu se rendre à l’évidence, c’était au-delà du raisonnable de partir toute la journée, moi qui ose à peine tourner le coin de ma rue. J’ai ma part de responsabilité à cette situation. J’ai trop tardé à mettre en place du personnel pour nous accompagner, parce que je n’en ressentais pas la nécessité d’une part et que les expériences précédentes s’étaient révélées désastreuses d’autre part. Pour m’aider, je travaille avec la psy à lâcher un peu prise, à oublier quelques expériences traumatisantes des rares fois où j’avais tourné la tête comme cette fameuse nuit où je ne m’étais pas levée, où je l’ai laissé déambuler et où je l’ai retrouvé couvert de sang à cause d’une coupure bénigne au pouce. J’apprends progressivement à faire confiance, à lui faire confiance, il ne peut plus tomber comme avant, il y a très peu de risques pour qu’il se mette en danger, c’est juste que le laisser seul, ne pas pouvoir intervenir dans la demi-heure me parait difficilement supportable. Mais tout de même…  j’ai tout eu en matière d’expérience malheureuse avec les auxiliaires de vie : celle qui collait des coups de pied à mon chat sous prétexte qu’elle était allergique (moi j’aurais dit phobique plutôt) celle qui est partie en pleurant parce qu’elle avait peur de mon jules, celle qui ne cuisinait pas, ne le changeait pas, ne le sortait pas et restait collée à son portable les fesses vissées au canapé (asseyez-vous monsieur lui intimait-elle… on appréciera…)

     Là se pose la question de la formation qu’elles ont reçue. Sont-elles qualifiées pour assumer un malade atteint de lésions cérébrales, qui ne possède guère plus de 30 mots de vocabulaire, qui ne mange pas seul, ne fait rien seul, qui se déshabille à la moindre contrariété, qui s’agite et s’énerve dès qu’il n’obtient pas ce qu’il veut, qui ne supporte pas d’attendre, qui ne supporte aucun inconfort, aucune frustration, qui ne sait ni dire quand il a chaud ou froid ni même si il a mal. Il faut connaitre le patient/bénéficiaire depuis plus d’un mois (ou 4 interventions) pour savoir quoi faire, comment lui parler, savoir de quoi il a besoin, quelle est sa demande du moment. J’ai dû m’y prendre trop tard sans doute…

     Se pose aussi la question de la pertinence d’une telle rencontre quand on sait que les aidants sont bien souvent les seuls en première ligne. Alors dans un excès d’optimisme, j’ai demandé s’il était possible que l’entrevue soit retransmise par Skype. Alors oui… mais non en fait. Pas dans ce salon, qui n’est pas équipé. Et puis quid des autres participants, de leur besoin d’anonymat ? Bon décidément ce ne sera pas pour cette fois !

     C’est bien dommage, j’avais des choses à lui dire moi à Mme Rossignol.

Des précisions à lui demander quant aux décrets d’application qui tardent à être publiés (le répit Mme rossignol, le répit… certains aidants attendent tant de ce répit… ) J’aurais aussi voulu savoir comment s’organisaient les départements face aux futures demandes de revalorisation des plans d’aides, j’aurais voulu avoir des précisions quant aux formations des auxiliaires de vie, aux SPASAD… J’aurais voulu savoir pourquoi les prestataires d’aides à domicile continuent à n’employer quasiment que des personnes non diplômées, au mépris des lois, au mépris de la sécurité de nos proches ? J’aurais voulu savoir pourquoi certains soins lourds et complexes sont encore assurés par des personnels non diplômés, faute de soignants, faute d’argent aussi probablement.   J’aurais tellement voulu être présente parmi vous demain. Et puis tant qu’à faire, j’aurais tellement voulu qu’on me propose un service de prise en charge de mon proche le temps de cette rencontre. Une solution quoi ! Mais non. Ce qui se passe à la maison reste à la maison. L’organisation, l’intendance c’est mon problème. Voilà. C’est ça. C’est un problème. Et c’est le mien. Et je suis fatiguée de n’avoir que des problèmes à résoudre depuis toutes ces années. Fatiguée qu’on ne me propose aucune solution, que des problèmes à soumettre. Parce qu’il faut bien l’admettre : parfois, quand il est plus énergivore de chercher de l’aide que de faire soi-même, le choix est vite fait !!! Voilà. J’ai fait mon choix. Je reste. Déçue. Mais je reste.  

Mise à jour du 10/02:
   Après avoir échangé avec plusieurs de mes amis aidants, il m'est encore venu des questions que j'aurais bien aimé poser à Mme Rossignol:

- Quelle autorité de contrôle va inspecter les prestataires de service qui envoient des travailleurs sociaux chez nos proches? 30% de personnel diplômé c'est encore trop peu au regard de nos situations complexes tant sur le plan physique que mental. La délivrance du label se fera sur quels critères? 

- Avec la création des SPASAD (services polyvalents d'aide et de soins à domicile) ne craignez vous pas un glissement des tâches du soignant vers le social, comme déjà constaté aujourd'hui? 
rappel: trop d'auxiliaires de vie assument aujourd'hui des soins qui relèveraient du champs médical, sans formation ni cadre légal (toilette intégrale au lit, pose d'étuis péniens, etc...) 

- A propos des aidants qui ont réussi à conserver leur travail, quel type d'information comptez vous faire passer aux entreprises et aux syndicats afin qu'ils informent les salariés de la possibilité d'un congé proche aidant?

- Lu aujourd'hui le compte-rendu de la rencontre entre Ségolène Neuville (secrétaire d'état chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion) et Myriam El Khomri (Ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle) portant sur les accords sur le handicap en entreprise. Pourquoi ne pas organiser une table ronde similaire, avec Laurence Rossignol, Ségolène Neuville et Myriam El Khomri portant sur la préservation de l'emploi chez les aidants, l'information des ressources humaines des dispositifs existants, la création de comités de pilotage des aidants en entreprise, comités animés par des aidants eux-même? Ce qui existe et mis en place pour les personnes en situation de handicap, pourquoi ne pas faire de même pour leurs aidants? 

Étant donné les échanges suscités par ce billet, la liste des questions n'est pas exhaustive, il y a fort à parier qu'elle va s'étoffer au fur et à mesure

donc à suivre... 

15 commentaires:

  1. On va les poser, ces questions. Et d'autres encore. Et puis un jour, on se verra vraiment en vrai, promis. En attendant, je t'embrasse fort.

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    1. il n'est pas trop tard pour les bonnes résolutions 2016? se voir avant le 31 décembre de cette année :-)

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  2. Je comprend votre déception, vous qui êtes une combattante, une battante, qui avez toujours les mots juste, les bonnes questions. Vous êtes la seule femme que je connaisse,très contente d'ailleurs que nos chemin se soient croisés, qui a un quotidien avec beaucoup d'obstacles auquel vous faites face,vous savez faire face avec patience et amour, tout en gardant souvent le silence dessus. Et malgré ce que votre quotidien vous fait vivre, vous demande, vous arrivez à combattre pour vos compagnons d'armes, à poser ses mots de battante que je me lasse pas de lire face à cette société. Je vous l'ai déjà dit, mais vous êtes un exemple pour moi, ce que vous faites je ne pourrais jamais le faire. Merci tata Kat, je vous embrasse très fort <3

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    1. Ton blog aussi est un modèle du genre. tu es une femme très sensible, tu apprends tous les jours, tu sais transmettre ce que tu mets en place pour ta maman et "l'invité", tu dessines merveilleusement bien. je t'embrasse aussi ma Doune.

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  3. Cette lecture m'a fait comme un électrochoc. Ma situation reste moins compliquée que la votre, mais depuis le décès de mon papa il y a 7 ans, chacun de mes départs en vacances est une source de stress, meme si au final moi je pars. L'humeur de ma maman est très impactée par mes absences. Je ne parle QUE d'accompagnement au vieillissement. Mon papa relevait de la pathologie psychiatrique. Je suis aidante depuis bientôt 13 ans. Il y a eu lui, il y a elle. L un et l'autre, l'un puis l'autre.
    Accessoirement (?) salariée syndiquée depuis 7 ans.
    Bon courage à vous

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    1. 9 millions d'aidants et 9 millions de cas particuliers, avec leurs situations, leurs histoires et leurs besoins différents. MAIS au final, tellement de similitudes dans nos vécus. cette inquiétude latente sur "qui prendra la relève" l'obligation de déléguer parfois, pour continuer à avoir une activité, une vie personnelle ou partir en vacances.
      j'espère que votre syndicat et votre entreprise vous permettent de vous exprimer en faveur de vos collègues aidants et de diffuser des informations. Certaines de mes amies aidantes rencontrent des résistances au sein de leur entreprise, alors que tout pourrait être tellement plus simple pour tous!!

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  4. Ma chère Kat. Je ne vais pas encore te dire ce que je pense de tes textes et de ton action, car tu ne passeras plus dans les encadrements de portes à force :-)
    Bise

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    1. tu as raison!!! c'est surtout que j'ai toute une collection de bonnets que j'affectionne particulièrement ;-)

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  5. de la part de jean-françois: bravo Kat, bravo à tous aussi qui se battent au quotidien. Et si les syndicalistes peuvent s'y mettre aussi, ça doit aider dans les entreprises. Très bien la question sur les entreprises, l'information, la formation du management, etc.

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    1. merci Jean-François. petit à petit... ce sont toutes les strates de la société que l'on concernera...

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  6. BRAVO et MERCI pour ton témoignage bien ancré dans la réalité du quotidien et tes questions pertinentes
    Catelyne

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    1. Merci Catelyne, je me suis inspirée de nos réflexions communes

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