18 mai 2016

URGENCES



     14 juillet 2013, on a débarqué aux urgences, Bonhomme, Hortense et moi.
Je ne sais pas pour qui c’était le plus urgent. Pour moi surement. Je ne suis pas une assidue de l’hôpital, des urgences encore moins. Nos derniers passages étaient justifiés.
Convulsions, épilepsie, rétention urinaire >15 heures, plaie ouverte… les motifs sérieux n’ont pas manqué.




     Mais là… Pas d’urgence vitale, enfin pour lui, le malade. L’urgence c’était pour moi. 3 jours et 3 nuits à marcher, s’agiter, vocaliser. Sans solution. La peur, la fatigue, l’épuisement ça obscurcit le jugement. Surtout quand Bonhomme et Hortense te matraquent en continu. Pour moi, les urgences ce jour-là ça avait été la moins mauvaise des solutions. Parce que le feu d’artifice durait depuis 3 jours et qu’Hortense faisait déjà le bal à la maison depuis un bon moment. Parce que de toutes les options proposées juqu’alors, aucune n’avait prouvé son efficacité et que les autres n’étaient pas recevables.

     Alors, bien sûr quand tu arrives aux urgences avec un malade agité, t’as beau dire toi la compagne-aidante-accompagnante que c’est parce qu’il ne supporte pas les neuroleptiques bah le premier truc qu’ils font c’est la bonne vielle perf. de Tiapridal. Peut-être qu’ils ne te croient pas et qu’ils veulent vérifier par eux même… t’as beau leur réciter dans le détail la liste des médicaments prescrits ces 4 derniers mois, t’as pas bien l’impression d’être entendue. Et à vrai dire, j’étais tellement délabrée que j’ai rien dit. Je les ai laissés faire, le perfuser à 5 sur lui, le sangler, l’attacher pour qu’il n’arrache pas tout. J’étais soulagée de passer le relai. Plus tard, deux (très) jeunes internes sont venus me voir, me demander si je voyais un inconvénient à ce qu’il soit transféré au C.A.P. (centre d’accueil psychiatrique l’étage au-dessus) j’ai plissé le nez, pas emballée à l’idée. Ils sont repartis et on a attendu. Longtemps. Des heures. Je les ai laissés se battre Hortense et lui. De temps en temps, je sortais fumer et je revenais. Il a exaspéré tout le monde avec ses cris. J’ai laissé faire. La fatigue m’anesthésiait. Il a été perfusé à 8h, à 14h il braillait encore. La faim devait le tenailler un peu aussi. Je suis sortie fumer, à mon retour il n’était plus dans le box. Monté au c.a.p. Demi-tour, sortie des urgences, les escaliers, je l’entends déjà.

     Au c.a.p. c’est pas la même ambiance. Le bruit des clés dans les serrures, d’autres cris, les hurlements d’une femme dans un bureau, la parole plus feutrée du médecin, encore des clés, encore des portes. Il fait chaud et Hortense qui dort toujours pas. Et pas moyen de fumer. Au c.a.p. tu sais quand tu rentres, tu sais pas quand tu sors. On a attendu longtemps pour voir un médecin. 18 heures : on est dans son bureau. Bonhomme ne dort pas mais il est plus calme. Considérablement ralenti même. Le Tranxène a eu raison d’Hortense. Il est en sueurs, échevelé, vouté, la tête qui va avec le lieu. Le bureau est frais, la fenêtre est ouverte sur un patio verdoyant, on entend au loin des oiseaux chanter. Le médecin parle doucement, assez bas. Il examine le dossier, m’explique calmement qu’il ne peut hospitaliser bonhomme en psychiatrie.
-« il est neuro madame, on ne prend pas ce genre de patient » je n’ai même plus la force de pleurer tellement je trouve ça absurde.
-« Bon, et on fait quoi alors ? »
-« Le Tiapridal a l’air de faire effet, on continue »  
Bah non justement, ça ne fait pas effet. Je lui sors les ordonnances. Ça fait un an maintenant, et les troubles sont allés crescendo.
-« Oui mais là il est calme »
Oui mais il est là depuis 8h ce matin, ça fait dix heures qu’il est attaché à son brancard, 3 jours qu’il ne dort pas 3 nuits qu’il déambule, il n’est pas calme il est épuisé.
-« je n’ai pas d’autre solution, madame, on va le redescendre en médecine »
On est ressortis comme on est entrés. 2 aides-soignantes et un infirmier sont venus, m’ont gentiment proposé de l’attendre en bas, le temps de le rafraichir. Ils l’ont levé, l’ont douché lui ont donné à boire et l’ont descendus, toujours attaché à son brancard.

     Retour case départ. Ça fait 12 heures maintenant. Il ne dort pas mais il est un peu « éteint » Comme il n’avait toujours pas mangé, je suis sortie lui acheter un truc. La machine était vide, j’ai trouvé un kébab ouvert, lui ai pris un énorme hamburger, des frites, une part de tarte. Je l’ai fait diner, ce qui lui a rendu un peu le sourire. La neurologue est arrivée. Je n’avais même plus la force de parler. Qu’est-ce que j’aurais pu lui dire de plus que ce qui était inscrit dans le dossier ? « Je craque, prenez-le, gardez-le, faites ce que vous voulez, j’en peux plus » parce que l’urgence à ce moment précis c’était pas lui c’était moi. Parce que j’étais à bout de nerfs, à bout de force, à bout d’arguments aussi. Parce que j’avais peur, peur de ce que l’avenir nous réservait, peur de ce no man’s land où l’entrainait Hortense et auquel je n’avais pas accès. Parce qu’Hortense, elle ne se contentait pas de me voler mon bonhomme, elle me volait ma vie aussi et elle la saccageait méthodiquement. Mais les urgences c’est pas le lieu pour raconter ça. J’ai juste demandé qu’on lui trouve un établissement où il pourrait être pris en charge et équilibré avec un traitement adapté. Je savais que ce serait plus long d’avoir une place s’il était à la maison et si c’était moi qui faisais les démarches. Tandis que de l’hôpital, si c’était à la demande des médecins, les démarches faites par l’assistante sociale… j’étais naïve, je croyais encore qu’il existait des établissements susceptibles de le prendre en charge. J’ai voulu jouer le bras de fer avec l’institution, le chantage « moi je ne le reprends pas à la maison tel quel, je veux une solution » J’ai joué. J’ai perdu.
     Il est resté 3 jours à l’UCSU (court séjour), attaché, étranglé par sa chemise à force de rester en tension, en sueurs dans une chambre surchauffée, fenêtre et porte closes (les cris sans doute…). Personne n’a trouvé de solution. Pas par manque de volonté, mais parce qu’il n’y en avait pas. 3 jours où je ne me suis pas reposée. Enfin pas vraiment. Mal dormi la nuit (la culpabilité sans doute), les matinées au téléphone, les après-midis à l’ucsu, le soir à pleurer, hébétée.
Au 3ème jour j’ai craqué. Le matin j’ai eu la neurologue au téléphone. Toujours pareil, cris agitation, hostilité, opposition. Pas de solution d’hébergement, pas de traitement non plus. L’ucsu n’est pas sa place non plus, ce que je comprends bien.
     On est rentrés en fin d’après-midi. Je l’ai douché, rasé, j’ai massé longuement ses mains œdématiées par la contention, je l’ai fait diner, il s’est couché et s’est endormi aussitôt.

     Voilà, un de nos passages aux urgences un 14 juillet. Je n’ai pas choisi ma date pour craquer. L’institution n’a pas été maltraitante, elle a été impuissante. Tout comme moi, mais moi, j’étais seule. Et c’est quand j’ai compris qu’il n’y avait pas de solution que je me suis mise à en inventer. Sur le court terme, ce douloureux passage aux urgences ne nous a rien apporté, mais avec le recul, il a été nécessaire pour que je comprenne à quel point les solutions étaient en nous.

(à suivre…)

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6 commentaires:

  1. un 14 juillet et son feu d' "artifices" pour dissimuler l'impuissance de l'institution.

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    1. toi tu as le sens de la formule. tu devrais travailler dans la pub ;-)
      merci de ta fidélité!

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  2. Lire et ne rien dire ne serait pas sérieux, mais je suis impuissante, je n'ai pas de mots face à ce difficile 14 juillet et cette impuissance médicale.
    Une fidèle

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  3. Je viens de lire votre témoignage et je reste sans voix. Je suis aidante pour mes parents et je connais aussi ce sentiment de solitude face aux administrations, institutions, ces regards hautains qui vous donne envie de pleurer! je suis admirative de ce que vous faites et si je peux vous envoyer des ondes positives depuis mon écran je le fais avec un grand plaisir. Nous avons tous besoin les aidants d'un peu d'altruisme. Bon courage :)

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    1. merci beaucoup pour vos bonnes ondes. nous avons passé de sales périodes en effet. ce passage aux urgences a au lieu il y a 3 ans. depuis, j'ai supprimé tous les psycho-actifs et la prise en soins est essentiellement comportementale. et ça a porté ses fruits. il n'est pas guéri bien sûr et ne le sera jamais, mais nous avons gagné en sérénité.
      courage à vous :-)

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